Monday, January 23, 2006

Brokeback Mountain, le film : Ang Lee signe un chef d’œuvre

 photo © Copyright BSLB 2006
Sur un thème bien particulier, mais ô combien universel, il s’était écoulé nombre d’années avant qu’un film ne vienne percuter de façon aussi directe au cœur d’un comportement de notre société contemporaine. Si par respect de la nouvelle d’Annie Proulx, les faits restituent le contexte des années 1960 à 1980, la trame reste de toute actualité, intemporelle.
On ne peut que souhaiter un succès mondial à ce film superbe.
La beauté des paysages du Wyoming (supposé! le film ayant été tourné dans l'Alberta au Canada) offre un écrin de rêve à l’histoire ainsi contée.
Elle trouve son pendant dans le charme indéniable du décor urbain des années soixante. Les amateurs de Wenders comprendront vite.
L’Amérique, tant rêvée, tant fantasmée, incomparable. Les vrais amoureux de l’Amérique sont servis.
Les Etats-Unis ne sont pas épargnés : l’approche est factuelle, directe, réelle. Pas de gratuité, pas de complaisance, droit au but. Le positif et le négatif, comme la vie, sans plus.
La caméra disparaît au profit des sens. Vos sens sont mis à contribution en permanence; c’est proche, très proche. Elle ne prend de la distance que pour vous permettre de respirer, pour vous permettre à vous de prendre de la distance, car ce qui va vous être dit, ce qui va être délicatement approché, est fort, dense, émotionnellement puissant.
La progression dramatique est tenue de main de maître, et pourtant 20 ans s’écoulent en raccourci.
Le réalisateur veut vous rendre complice, accompagnateur. Il vous guide patiemment, graduellement, jamais n’insiste. La pudeur ne s’acquiert pas par la volonté, il faut la connaître intimement. C’est très certainement son cas.
La musique sous-tend l’histoire, participe de la respiration, assure le massage indispensable aux tripes qui se nouent, au cœur qui se serre, à l’étau qui se porte à la gorge. Superbe guitare, dont les accents vont bien à l’âme, voix rugueuse, sincère, dans la tradition.
Quels acteurs ! Tous. Un sans faute. D’une saisissante humanité, dans toutes leurs facettes. Sachant qu’aucun rôle n’est facile, car composite, fragile, complexe.
Bien sûr, héros obligent, l’attention se porte à l’évidence sur Heath Ledger qui incarne un Ennis Del Mar d’une grande fragilité contenue, et sur Jake Gyllenhaal qui prend la peau d’un Jack Twist délicat et prudent, tout en finesse. Sans eux, le film n’aurait pas abouti dans son essence même, les écueils étant nombreux, comme des précipices à chaque pas.
Tous deux servent l’Amour admirablement. Et servir l’Amour d’une manière universelle, comme il se doit, alors que l’amour se noue entre un homme et un homme, Bravo ! Chapeaux bas face à ces cow-boys au chapeau rivé sur la tête!
Beaux, charmeurs, complices, simples, dans leurs jeans et leurs bottes comme une seconde peau. Secrets, subtils, forts, tendres, passant à travers tous les désordres du sentiment, pour le meilleur si la société le voulait bien.
Tragiques dans leur émotion, leurs peurs, leur désespoir, leur chagrin. Chagrin qui devient le nôtre, infiniment, durablement. Leur douleur nous est insoutenable, pétrifiante.
On désespère à trouver un baume, mais le cœur le sait plus vite que le cerveau, ce qui est dit est vrai, terriblement vrai, terriblement exact, terriblement actuel : ce répugnant rejet de la différence, de l’altérité, cette puissance de mort qui vous est projetée, cette vie là qui vous est interdite, jusqu’à en crever, d’une manière ou d’une autre.
Il serait rare que quiconque sorte indemne après avoir vu ce film profond.
Ceux qui sortiraient indemnes ont du pain sur la planche, pour plusieurs vies sans doute.
Les autres, nombreux, se sentiront plus humains, moins rares, et s’aimeront plus fort et mieux encore.
© Copyright 2006 Bruno-Stéphane.

6 comments:

Anonymous said...

Juste pour dire que le film a été tourné au Canada.

Anonymous said...

Bonjour,
J'en suis sorti dimanche dernier après la sèance, bouleversé et je le suis encore mercredi toujours autant. Beau film, grave, à méditer. Nous devons aller toujours au fond de nos passions, la vie est trop courte pour ne pas en profiter. La musique lancinante me trotte sans arrêt dans la tête. Quelqu'un pourrait m'indiquer le lieu exacte du tournage, je croyais que c'était dans l'Idaho !
Merci Gérald

Anonymous said...

"Tragiques dans leur émotion, leurs peurs, leur désespoir, leur chagrin. Chagrin qui devient le nôtre, infiniment, durablement. Leur douleur nous est insoutenable, pétrifiante."

Je sors de la séance de 14 h et tourne en rond avec ce poids sur lequel je n'arrivais pas à mettre de mots. Les voici. Merci à vous.

Anonymous said...

Merci à toi Franck Antoni! Je suis fixé. GéGé

Anonymous said...

J'ai comme beaucoup énormément aimé ce film. Cependant, il y'a quelque chose que je n'ai pas compris : quand Ennis se rend chez les parents de Jack, le père de ce dernier révèle à Ennis que son fils lors de sa dernière visite lui avait annoncé qu'il avait l'intention de venir s'installer dans le ranch familial avec l'un de ses amis du Texas... Je comprends qu'il doit s'agir du mari barbu de l'amie de sa femme qui lui avait proposé d'aller de temps en temps pêcher avec lui pour s'évader un peu...
Alors la question que je me pose est celle-ci : Jack avait-il vraiment l'intention de s'installer avec cet homme (ou un autre)et en fait de quitter Ennis avec lequel il ne pourrait jamais vivre en couple ?
Peut-être la réponse est-elle dans la nouvelle d'Annie Proulx que je n'ai pas encore lue.
Quelqu'un peut-il avoir la gentillesse de me donner son point de vue sur cette question qui me taraude ? Merci

Brokebacker said...

Pour les amateurs de voyage, ou de pélerinage!, le film a été tourné au Canada, dans l'Alberta, près de Fort McLeod, dans les Montagnes Rocheuses près de la frontière avec les Etats-Unis : des montagnes spectaculaires... On y va ensemble? Quand?