« I ain’t queer. Me neither. / Je ne suis pas pédé. Moi non plus »
Dans le contexte fort peu permissif des années 1960, Ennis et Jack, dépourvus de travail permanent, se trouvent être engagés en même temps pour une mission de gardiennage de troupeaux, durant l’été, dans les montagnes du Wyoming. Le binôme s’organise pour la répartition des tâches, d’autant que leurs responsabilités respectives les amèneront à ne se retrouver que pour les repas, selon leurs missions diurnes et nocturnes. L’ambiance est bucolique, l’environnement splendide, la camaraderie s’installe, les allées et venues deviennent toutefois répétitives, comme le menu des modestes repas. L’ambiance auprès du feu de camp n’est pas sans charme, et le whiskey aide à l’échange, limité puis graduellement plus amical. Une complicité s’instaure inexorablement.
Une trop belle soirée auprès du feu, et trop de whiskey, font rater la mission nocturne près du col ; le troupeau ne sera pas surveillé comme il se devait. Les deux cow-boys passeront la nuit au camp, dignement, l’un sous la tente, l’autre à l’extérieur. A cette altitude, la température chute vite. Celui qui a opté pour la modeste couverture et le ciel étoilé n’est pas servi. L’occasion est rêvée pour Jack d’inviter le compagnon sous la toile de tente. Une telle présentation des faits laisse à penser à une préméditation, il s’agit en réalité d’un écoulement naturel du temps et des circonstances. Une fois Ennis mieux abrité et réchauffé, mais encore assez groggy, Jack, non sans courage, même si le désir le pousse, fait la tentative d’un rapprochement plus intime, qui, de prime abord perçu avec surprise, bascule comme l’éclair vers une étreinte amoureuse virile et directe. Les jeux sont faits.
Le lendemain, le silence est d’or.
Chacun médite au fond de lui-même, tantôt son instinct, tantôt la transgression accomplie.
Qui n’a pas vécu ce passage, source d’une sensation de grande victoire sur la pesanteur des moeurs conventionnelles, initiation et source d’accomplissement car porteur de vérité sur soi.
L’environnement et l’altitude sont propices à cette méditation.
Ni l’un, ni l’autre, ni la liberté instaurée par la distance au monde social, ne favoriseront l’aveu mutuel. L’interdit et la pression sociale n’ont pas de limites et polluent l’évidence.
La chute est brutale, irréelle, et relève de l’autopersuasion.
« I ain’t no queer. Me neither. / Je ne suis pas pédé. Moi non plus / Mica sono un finocchio. Neanch'io »
Anthologique.
Par ce raccourci, les deux amants se nient, se rachètent une conscience acceptable, se rassurent personnellement et mutuellement. Mais paradoxalement, ils ne mentent pas ; cette attraction mutuelle, cette expérience, leur tombe dessus comme l’averse de printemps ; avec moins de soudaineté chez Jack, plus lucide, plus préparé. Irrépressible, mais inaffichable ; le secret se constitue et sera entretenu, pour le meilleur tant que leur intimité sera préservée, pour le pire dès que celle-ci sera perçue.
Toute la condition homosexuelle se résume dans ce simple mot queer/pédé, détestable dans les deux langues, si répandu, porteur de violence et de haine. Les communautés homosexuelles ont tenté de se le réapproprier pour le banaliser, le neutraliser, le diluer. Malgré ces tentatives, les murs gardent les traces de ces graffitis obscènes et accusateurs, parfois délateurs, les bouches vulgaires perpétuent son usage comme une malédiction. Le vingt et unième siècle ne l’a pas vu disparaître. Il semble rendre plus viril ou plus femme celui ou celle qui le projette. Curieux pouvoir imaginaire d’un mot sur des organes génitaux où l’on s’interroge systématiquement sur qui a le plus de « couilles » !
© Copyright 2006 Bruno-Stéphane.
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